Capitaine Lacuzon, un (anti-)héros comtois
1636. Les armées françaises de Louis XIII sont en Franche-Comté et tentent de s’emparer des places fortes du pays. Dans le sud, un commerçant au passé trouble constitue une petite compagnie, qui harcèle l’envahisseur. La légende de Lacuzon, héros comtois, est en train de naître.
On a parfois dit qu’il n’était qu’une légende. On est certain aujourd’hui qu’un certain Claude Prost s’est fait connaître lors de la Guerre de Dix Ans sous le nom de Lacuzon pour des faits d’armes plus ou moins glorieux dirigés contre la France. Jusqu’à sa mort, probablement en 1681, le capitaine Lacuzon (La Cuson ou Lacuson, « le souci » en dialecte) fera figure de père de la résistance comtoise face aux Rois de France, lors des trois guerres qui ont opposé la Franche-Comté au géant voisin.
Ce qu’on sait de Lacuzon
De Dom Benoît (fin XIXème), historien de la terre de Saint-Claude, on apprend plusieurs choses, plus moins vérifiables, sur le Capitaine Lacuzon. Celui-ci serait né à Longchaumois en 1607 et, après la prise de la Comté de Bourgogne par Louis XIV, se serait exilé à Milan, où il serait mort en 1681. Entre ses deux dates, une légende de l’histoire comtoise est née, entre événements réels et vérifiables, et anecdotes plus ou moins crédibles.
– La guerre de Dix Ans
La première guerre de Lacuzon, celle qui va fonder sa réputation, c’est celle de Dix Ans épisode comtois de la Guerre de Trente Ans. Après la délivrance héroïque de Dole en 1636 par les armées comtoises et impériales, il rejoint le sud du Jura où, commerçant aisé, il constitue une troupe, avec laquelle il harcèle le Bugey et la Bresse française. Sa notoriété allant grandissant, le baron d’Arnans lui confie une terce, soit près de 300 hommes, sur lequel il exerce une véritable fascination.
En 1639, après la mise à sac des hauteurs jurassiennes par les Français et les Suédois, Lacuzon reprend le contrôle de la région et s’installe dans le château de Montaigu, véritable nid d’aigle, qu’il remet en état et d’où il organise les opérations. Il domine Lons-le-Saunier et la plaine occupée, organise des raids contre les Français en Franche-Comté et en France, raids qui se soldent le plus souvent par des pillages.
– Le hobereau populaire
La paix retrouvée, le pays comtois est exsangue. La Franche-Comté sort victorieuse de l’une des pires guerres de son Histoire. Lacuzon, quant à lui, s’est enrichi et dispose, de plus, d’une assise populaire, donc politique, sans commun. Ses ennemis se déchainent et lui intentent un procès pour harcèlement sexuel, violences multiples et abus de pouvoir. Mais sous la pression du peuple franc-comtois qui soutient son héros, le roi d’Espagne l’absout en 1659.
En 1668, la France est de retour en Franche-Comté. Après la chute de Dole, on sait que Lacuzon prête serment à Louis XIV : certains parlent d’une reddition obséquieuse à souhait, d’autres d’un Lacuzon moqueur et impertinent envers le Roi Soleil. Quoi qu’il en soit, l’entre-deux guerres (1668-74) profite au capitaine. Jouissant de la totale confiance du gouverneur espagnol de la Comté, il écrase la rébellion des nobliaux locaux (marquis de Listenois) qui ne tarderont pas à changer de camp. En 1674, malgré une résistance héroïque, la Franche-Comté tombe aux mains des Bourbon. Lacuzon fuit en Italie espagnole et meurt à Milan, d’après Dom Benoit (qui ne cite aucune source), en 1681.
Un anti-héros comtois
Outre l’Histoire, la vraie, outre la légende, chantée par les romanciers du XIXème siècle (Xavier de Montépin, Louis Jousserandot, Désiré Monnier et même Victor Hugo qui envisagea d’écrire un roman sur le personnage), reste de la vie de Lacuzon un symbole, une fierté comtoise qui, comme c’est souvent le cas en Franche-Comté, n’est pas exempte de paradoxes.
Car, tout héros qu’il est, Lacuzon a ses défauts. Sa passion pour les femmes, d’abord, qu’il n’hésite pas à rudoyer, voire à violenter : on lui prête l’usage fréquent de cette expression « Y aurait-il moyen, commère ? ». Sa relative lâcheté, ensuite : on dit qu’avant chaque combat, n’étant pas un guerrier né, il se rassurait en clamant « Chair, qu’as-tu peur ? Ne faut-il pas que tu pourrisses ? ».
Comme si Lacuzon était le héros national d’un pays qui ne se prend pas vraiment pour un pays…
Postérité du capitaine La Cuson
N’empêche… Si le héros comtois n’a pas grand chose du Chevalier Blanc, sa trace héroïque reste un peu partout dans la culture comtoise. Les romantiques en ont fait une légende, la population aussi en garde souvenir. Il y a peu émettait encore une radio du nom de Radio Lacuzon dans le Jura Sud.
Sans compter les lieux qui prennent leur nom de la légende de Lacuzon. De nombreuses grottes sont réputées (sans doute à tort) lui avoir servi de replis stratégiques, notamment près des Cascades du Hérisson. Mieux : en 1810, un jeune chevrier trouva dans la grotte de La Frasnée, dite grotte de la Vouivre, un squelette tenant une épée espagnole dans ses mains. On raconta alors que ces restes humains étaient ceux de Lacuzon, qui, loin d’avoir fui pour l’Italie, s’était retranchée en ermite, sous la protection de la créature légendaire, pour y mourir, inconsolable de la défaite franc-comtoise.
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